mercredi 16 septembre 2009

RHALIB Rawad -Les Damnés de la mer - doc (Belgique, 2008)

Télérama : n°3114 P. 78
Documentaire de Jawad Rhalib (Belgique, 2008). 55 mn. Inédit.
RHALID Rawad sur "cinergie.be "
Damnés de la mer sur : "cinergie.be"
RHALIB Rawad sur  "Télérama" "
dvd de RHALIB Rawad  disponibles dans bibi municip


2 commentaires:

le minot a dit…

Cette critique est parue dans le Webzine n°134


Capital mondial, histoires locales.

Essaouira, nord du Maroc, naguère l'un des ports sardiniers les plus importants de la planète. Aujourd'hui, un désert où se morfondent quelques pêcheurs marocains face à une absence dramatique de poissons. Les raisons d'une telle situation sont multiples, mais trouvent leur origine dans cette logique carnassière d'un capitalisme devenu seul maître à bord. D'abord, il y a cette politique économique du gouvernement marocain qui vend à de grosses sociétés étrangères des licences de pêche industrielle en haute mer avec, pour conséquence immédiate, la disparition le long des côtes des bancs de sardines.


Ensuite, l'absence de réactions solidaires au sein des pêcheurs marocains qui pratiquent la règle du "chacun pour soi" et obéissent à la loi du "ne pas broncher" face à des autorités pour le moins répressives qui ne font pas dans le détail humain.
Enfin, il y a ce large mouvement d'exil volontaire qui pousse nombre de pêcheurs à gagner le sud du Maroc où ils espèrent retrouver près de la frontière mauritanienne, dans la baie de Dakhla, des conditions de pêche leur garantissant un minimum vital. Là, contre toute attente, la situation est tout aussi désastreuse qu'à Essaouira, si pas pire, car les périodes de pêche prescrites par les lois de protection de l'environnement limitent de façon drastique l'exploitation côtière.
Dans la baie de Dakhla, autrefois réputé paradis du pêcheur, un sous-prolétariat a vu le jour alors qu'au loin, en pleine mer, passent les gros chalutiers des compagnies étrangères qui vident systématiquement, et sans l'ombre d'une mauvaise conscience, la mer de ses poissons.

Les Damnés de la mer, dernier film documentaire de Jawad Rhalid, rend compte de cette situation à partir de la vie quotidienne de quelques pêcheurs et de leurs proches. De Ghislane, la mendiante qui ose braver les lois pour nourrir sa famille, à l'épicier local qui pousse à la pêche frauduleuse, la caméra de Jawad Rhalid filme ces moments de rencontres où les pêcheurs font le point sur ce qu'ils endurent et nous livrent un quotidien dominé par la précarité avec, pour toile de fond, des barques échouées, des tentes bricolées côté bidonville et quelques poissons morts que le sable du désert recouvre et enterre.

Proposition forte, point de vue chaleureux et critique, la démarche de Jawad Rhalid est avant tout un constat engagé. Cinéma en lutte, il dénonce, à juste titre et à hauteur d'homme, ce qui se passe, mais ne trouve pas la manière de faire surgir ce qui relève du simple énoncé. Pétri de didactisme et trop contrôlé dans son propos, les Damnés de la mer hésite entre approche sensible et réquisitoire partisan.

Jouant d'une étrange confusion entre documentaire et fiction, il donne l'impression que chaque séquence a été pensée, écrite et voulue en fonction de l'information qu'elle véhicule, évacuant ainsi toute mise en risque, toute réelle aventure tant dans ses décisions de réalisation que dans la place qu'il fait au spectateur.
Informatif et en cela nécessaire, il ne trouve pas son véritable enjeu cinématographique. Si Jawad Rhalid nous montre avec justesse ces lieux sinistrés par l'exploitation capitaliste à outrance et trouve une réelle complicité avec ceux qu'il filme, il ne parvient pas à quitter une forme de discours militant qui, par la lecture et le sens qu'il impose à chaque plan, court-circuite les évidentes qualités du film.

Philippe Simon

le minot a dit…

Il y avait les perches du Nil, voici les sardines du Maroc. Comme Le Cauchemar de Darwin, Les Damnés de la mer dénonce les ravages d'une mondialisation sauvage et dévastatrice à partir d'un cas emblématique. Après avoir constaté l'inactivité portuaire et la fermeture des conserveries à Essaouira, le Belge Jawad Rhalib est allé planter sa caméra à l'extrême sud du Maroc. Des milliers d'exilés s'y entassent dans l'attente d'une pêche miraculeuse. Qui ne risque pas d'arriver : les autorités interdisent toute sortie en mer afin de préserver la ressource. Pendant ce temps-là, sous leurs yeux et grâce à des licences monnayées par les mêmes autorités, des navires-usines européens ramassent des centaines de tonnes de sardines destinées à l'exportation... en exploitant d'autres Marocains dans leurs cuisines.
Edifiant. Révoltant. Mais, au contraire d'Hubert Sauper, Jawad Rhalib évite la dramatisation (on pense plutôt à Rithy Panh). Sa réalisation est calme, maîtrisée. « Les plans fixes disent l'interminable attente, explique le réalisateur. De manière générale, j'aime soigner l'image. Pour raconter une histoire, je préfère poser ma caméra sur un trépied et laisser vivre les personnages. » Il s'appuie donc sur quelques lieux et figures clés (l'épicier, la mendiante, le capitaine d'un chalutier suédois) pour donner corps et âmes à son implacable récit. Dommage qu'Arte réserve à la TNT ce beau travail, Prix du public au festival Visions du réel.
Samuel Gontier
Télérama n° 3114